Logement en crise : deux visions, deux solutions
La Suisse manque de logements, mais les solutions ne font pas l’unanimité. La Suisse fait face à une pénurie de logements. Nous avons posé les mêmes questions à deux conseillers nationaux aux approches différentes : Christian Dandrès et Philippe Nantermod. Deux visions très différentes pour sortir de la crise. Voici ce qu’ils nous ont répondu.

29.07.2025

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1. Quelles mesures devraient être prises pour lutter contre la pénurie de logements ?
Dandrès : Les grands promoteurs sont des groupes financiers (UBS, fonds immobiliers, etc.). Les investissement immobiliers ont été temporairement moins intéressants que les marchés boursiers et obligataires. La construction a ralenti. A cela s’ajoute la rareté des terrains constructibles et des mauvaises planifications.
Une politique publique foncière est indispensable pour s’assurer de terrains disponibles en suffisance. Un acteur public doit se charger d’anticiper le besoin et d’agir en amont dans les secteurs prioritaires pour le développement de la ville.
L’efficacité de cette politique dépend des outils juridiques à disposition pour cet acteur public et les collectivités (droit de préemption, etc.).
Densifier un secteur est une décision politique compliquée pour une commune. Les grands choix de développement doivent donc être pris au niveau cantonal. Il faut ensuite mobiliser des capitaux hors du secteur financier pour garantir un financement stable et sur le long terme, qui n’induit pas des loyers inabordables pour la majorité de la population.
Christian Dandrès est un conseiller national socialiste (PS) genevois, élu depuis 2019 au Parlement fédéral suisse. Il est également juriste de formation et avocat spécialisé en droit du bail, très actif dans la défense des locataires.
Nantermod : Il faut d’abord densifier les zones à bâtir, faciliter les surélévations et les reconstructions, accélérer les autorisations et geler temporairement certaines normes excessives (parkings, énergie, etc.). Il faut aussi limiter les oppositions abusives, notamment par des modifications légales. Une politique migratoire cohérente avec la capacité d’accueil est indispensable. Enfin, il faut libéraliser le droit du bail: tant que les loyers sont contrôlés rétroactivement, que les procédures sont longues et incertaines, les investisseurs hésitent. Une plus grande liberté contractuelle redonnerait confiance et débloquerait l’offre.
Philippe Nantermod est un conseiller national PLR (Parti libéral-radical) originaire du canton du Valais, élu au Parlement fédéral depuis 2015. Il est aussi avocat de profession, spécialisé notamment en droit des affaires et en droit des télécommunications.
2. Pourquoi ces mesures n’ont-elles pas encore été mises en œuvre ou pourquoi ne produisent-elles pas encore d’effet ?
Dandrès : La pénurie génère des surprofits extraordinaire pour des groupes financiers. Ces dernier.ères pèsent de tout leur poids sur les autorités politique pour les conserver et que soient démantelé les instruments de politique publique du foncier qui limitent leurs rendements. Mettre – ou remettre - en place ces outils nécessite des initiatives populaires (BS, VD, ZH, GE). Cela prend du temps et se heurte à un cadre juridique taillé sur mesure pour les promoteurs. Au niveau cantonal ou communal, la marge de manœuvre pour contraindre les investisseurs à construire du logement répondant au besoin prépondérant de la population n’est pas totale. Le cadre imposé par Berne et le Tribunal fédéral est rigide et complexe. Il faut donc à chaque fois marcher sur une corde raide. Le soutien de la majorité de la population a cependant toujours été au rendez-vous et a permis de poser des bases pour mener cette politique. Nous n’en sommes toutefois qu’au début.
Nantermod : Elles se heurtent à des blocages politiques et administratifs : les communes freinent souvent les densifications par peur des oppositions locales ; les normes de construction deviennent de plus en plus complexes ; les procédures durent des années, parfois jusqu’au Tribunal fédéral. Par ailleurs, certaines forces politiques s’opposent à toute construction privée et instrumentalisent la crise pour imposer davantage d’interventionnisme étatique, au lieu de débloquer ce qui freine l’offre.
3. Faudrait-il construire davantage de logements ? Si oui, comment pourrait-on stimuler la construction ?
Dandrès : Densifier n’est pas qu’une question technique. Modifier le cadre de vie des habitant.es doit être pensé avec ces dernier.ères. C’est une question hautement politique de dignité et d’équité.
Il n’est pas acceptable de demander à des habitant.es de supporter des mois de chantiers pour réaliser en surélévation quelques logements de haut standing. Ceux-ci sont inabordables pour leurs enfants et entraîneront à moyen terme une hausse générale des loyers et des prix dans le quartier.
Construire d’avantage doit s’inscrire dans une politique cohérente. La population doit trouver son compte et non pas seulement le promoteur. Densifier doit aller de pair avec une amélioration de la qualité : création de lieux de détente (parcs publics, squares, places de jeux, etc.), d’infrastructures (crèches, écoles, transports, etc.) et des réaménagements de quartiers pour les rendre moins sensibles à la canicule (îlots de chaleur).
La priorité doit être donnée aux promoteurs sans but lucratifs comme les fondations communales, les coopératives, etc. qui ont d’autres objectifs que le rendement.
Nantermod : Oui, massivement. Il faut redonner confiance aux investisseurs: garantir la sécurité juridique des projets, geler certaines exigences transitoirement, permettre une augmentation du parc locatif sans blocage politique ni incertitude réglementaire. Sur le plan fiscal, accélérer les amortissements sur les nouvelles constructions ou la rénovation pourrait aussi libérer des capitaux. Une réforme du droit du bail est également nécessaire pour sécuriser les revenus attendus.
4. Les rendements des propriétaires immobiliers sont-ils trop élevés ? Si oui, pourquoi ne construit-on alors pas davantage ?
Dandrès : L ’offre et la demande n’est pas le seul facteur pour déterminer les loyers. La protection des locataires a été fortement amoindrie au fil des ans par les pratiques spéculatives de certains bailleurs (UBS, Zurich assurances, etc.). Celles-ci ont été admises par le Tribunal fédéral qui a changé d’optique ces dernières années. Dans les faits, la Confédération garantit désormais les profits abusifs des bailleurs. A la suite de plusieurs jurisprudences très défavorables aux locataires, il ne reste plus grand-chose de la protection contre les loyers abusifs. Aujourd’hui, même si la pénurie de logements diminuait, les loyers resteraient à une niveau très élevés à cause de l’effet cliquet mis en place par le Tribunal fédéral en faveur des bailleur. Un loyer, même hautement abusif, ne diminue en général plus. Il ne peut être réduit qu’à la marge – 2 à 3% au plus – lorsque le taux de référence diminue. C’est pour changer cela que l’ASLOCA lance une initiative populaire fédérale.
Nantermod : Non, les rendements ne sont pas excessifs ; ils restent souvent en dessous de ceux d’autres placements, avec des risques juridiques et réglementaires bien plus élevés. Le vrai frein réside dans l’insécurité liée au droit du bail : loyers contrôlés de manière rétroactive, jurisprudence imprévisible, interventions politiques constantes. Pour relancer l’offre, il faut libéraliser ce droit : garantir la liberté contractuelle, permettre une indexation claire des loyers et assurer une meilleure protection contre les abus de droit. Tant que le rapport rendement/risque sera déséquilibré, les investisseurs fuiront le logement locatif, malgré la demande criante.
Cet article a été créé pour la première fois le 29.07.2025
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